Hubert Beauchamp
Gilbert Garcia peint les silences comme Rimbaud les écrivait, notant l’inexprimable et fixant des vertiges : cela s’appelle aussi la poésie. Ce qui nous renvoie à Léonard de Vinci qui définissait la peinture comme une « poésie muette ! »
S’il y a, à l’origine de l’art moderne, un profond besoin de faire taire le bruit extérieur pour écouter la voie intérieure, dans les « silences » de Gilbert Garcia, la lumière prend toujours sa source au cœur du tableau pour en éclairer l’extérieur. Avec la plus grande liberté. Une ascèse veloutée. On pourrait penser à Magloire-Saint-Aude, ce vieux poète haïtien pour qui la concentration, l’hermétisme est « le dernier échelon de la pudeur. » Il évoque, dans « Dialogue de mes lampes » le silence en sel blanc ! Ici la couleur, latente, se devine.
Avec une rigueur dans la construction et une passion intacte, l’artiste traduit la lumière, une lumière éblouie et froide. Tout le contraire du spectaculaire : une architecture en suspension dans l’espace illuminé par des blancs intrépides. Un équilibre fragile dans la légèreté, la transparence de l’air. Dans une recherche toujours plus poussée, Garcia épure sa peinture pour n’en garder bientôt qu’un objet en apesanteur. Jusqu’aux abords de territoires abstraits. Une œuvre méditative, à découvrir et redécouvrir sans fin.
On se sent bien dans le calme de ces toiles. S’en dégage une sérénité propice à la contemplation. Sur le quai du silence, la lumière est là : des ombres apparaissent qui donnent le relief. Toute la complexité de l’œuvre, aussi, et… celle du peintre.
Hubert Beauchamp, journaliste et ami, texte écrit pour l’art dans le ruisseau
Fabien Detraz
Il y a cette patience et cette ténacité… et, dans le même temps, un sens de la discipline marque la création de Gilbert Garcia.
Gilbert Garcia n’a pas l’admiration passive d’un esthète ; chaque découverte le conduit à approfondir l’étude du sujet en question et à rendre compte des résultats de ses recherches.
L’enseignant ne conçoit le savoir que dynamique pour lui comme pour ses élèves : l’artiste, lui, dans une « gestation lente », prépare la peinture de demain…
Depuis 1995, Gilbert Garcia n’appose plus de titre au dos de ses toiles. Unique, chacune est aussi un aperçu du paysage imaginaire, d’un monde que le peintre recrée par son art. Ensemble, ces œuvres constituent cet univers spirituel qu’il tend, à chaque tentative, de rendre sensible.
Fabien Detraz
Patrick Paicheler
Gilbert c’est l’amitié offerte, pure, l’ouverture aux êtres, l’intérêt et la curiosité portés au travail des autres.
En commun le « senti » de la peinture, à notre modeste mesure, le plaisir partagé de « parler » peinture. Certaine exigence, mais sans jamais se prétendre « artistes ».
Gilbert œuvre, simplement. Il est le « métier » soumis à un quotidien ordonné. Gilbert, et donc sa peinture, c’est la lumière et ses problèmes posés.
Il la porte en lui, l’observe, la scrute et la décline patiemment.
Gilbert c’est une pureté enthousiaste et retenue, pudique. Il construit la lumière qui, elle-même construit le tableau, le compose, le structure jusqu’à atteindre l’équilibre ; poésie douce et apaisante, sensibilité à vif, posée en lumières.
S’il faut parler technique : économie de moyens, précision des « dosages » et couleurs primaires, un noir, un blanc. Point.
Ultime visite. Comme à chaque fois, regard ému sur son « coin travail » et sa palette aux cratères et tons lunaires, palpitations intimes du labeur quotidien ; sa « mer toujours recommencée ».
La dernière série de papiers posée là, pied du mur, aboutissement tranquille, bien ordonnée du plus pâle au…..moins pâle.
Questionnement de Gilbert devant ce travail ! (moi je pense à Picasso : »la peinture me fait faire ce qu’elle veut »….mais pas dis, bien sûr.)
Puis, geste presque enfantin, il se saisit du dernier papier de la série, le moins pâle donc, et le pose en tête…..il en devient presque noir !
Et l’ami Gilbert, ravi, étonné de cela qui pourtant est monté du profond de lui.
Voilà .Dans une autre lumière, crue, tranchante, je cherche les mots pour suggérer cette amitié charnelle et picturale. Un ami tel que lui ne « s’interrompt » pas ; la conversation continue dans l’activité silencieuse et si intime de l’atelier. Geste suspendu : « qu’en penses-tu Gilbert ? »
Mais aussi devant les toiles de lui accrochées chez moi… soleil d’ici chaque matin tôt sur lumières d’un « Barcarès »….et moi, yeux mi-clos, sur ma natte, j’épouse un instant son regard de peintre et je lui souris…alors ?…
Mais peut-on « dire » Gilbert sans penser Huguette ? Compagne d’une vie, indispensable et brusquée tendrement.
Valérie Lafont
L’atelier est comme le reste de la maison. Impeccable, blanc et silencieux. Tout est à sa place, rangé, trié, archivé. Finalement, le coin de couleurs, celui où le peintre se collète à la matière et se salit les doigts, est réduit à une portion congrue. On sent pourtant, au couinement de la chaise posée devant la palette, que c’est le coin le plus investi de la maison, qui est pourtant grande. C’est une chaise à la Glenn Gould, qui souffre et gémit, fidèle au poste, irremplaçable, unique et là pour toujours. Un petit coin de travail où il n’est pas possible de ne pas sentir la présence du peintre, même en son absence. Un coin d’humanité pensante et souffrante où il a forcé son talent et son habileté. Un angle de fenêtre où la sagesse qui avec les ans conduit à l’abstraction, s’est longuement exercée. De cette sagesse obtenue à force de rassemblement de soi et qui mène à la spiritualité. Un tremblement de moment. L’insaisissable. Le rien habité. La recherche têtue d’un homme qui disait vouloir peindre le vide. Gilbert Garcia était quelqu’un d’obstiné.
Eternellement insatisfait, en perpétuelle recherche, un Artiste…
Ces toiles achevées à peine finies, toutes fraîches, il les dispose au sol selon un ordre précis qui est en général celui d’une graduation lumineuse avec les recherches chromatiques qui en résultent, cependant que les autres travaux sont retournés, punis pour un temps, mais pas encore passés tout de même dans l’autre pièce, celle de l’archivage, où il n’est plus question d’eux jusqu’à nouvel ordre.
On se demande même s’ils sont vus par les clients, amateurs et amis de passage, ceux de la pièce sombre, alignés sur des rayonnages conçus à cet effet, numérotés et datés, classifiés et catalogués. Il y a pourtant parmi eux des merveilles, jaunes poussin mâtinés d’orangés couleur du monde au réveil, sombres orages bleu acier, rouges (une audace !) calmés de blanc qu’un minuscule vert fait danser. Ils ne représentent rien en particulier, malgré le prétexte de vagues collines, architectures d’horizon, villes invisibles. Ils ne sont que la réminiscence de sensations, doublés d’une recherche patiente et ardente, sans cesse renouvelée, au quotidien, tous les matins, sur la vieille chaise.
La dernière période cependant se démarquait des autres, en ceci qu’on en devinait le but, qu’on sentait le sujet réinvesti, là, à portée d’œil. Toute une vie ou presque à peindre de l’abstraction, malgré le choix d’un sujet figuratif de départ, pour finalement toucher au but d’un sujet assumé. Et on le sentait frémissant d’excitation face à cette découverte, avide de la partager avec son frère de pinceau, Patrick Paicheler. Lequel peint si différemment, technique, formats et sujet compris, qu’il ne pouvait qu’être neuf face à son contraire. Les deux hommes s’apprécient pour leur même souci d’exigence et une certaine parenté de caractère assise sur la pratique de l’humour. Gilbert Garcia est souvent impatient de savoir ce que cet autre en pense. De même que Patrick Paicheler réserve souvent sa première visite en France pour cet homme toujours sur le fil. La dernière période fut donc une découverte émerveillée pour quelqu’un qui connaissait toutes les étapes qui y avaient conduit.
Quelques fragments d’architecture recentrée finissaient par émerger du tableau, en son centre, ramassés, presque en volume. Le travail du fond rendait ces parallélépipèdes palpables.
En variation sur le même thème, toute une série approfondissait leur possibilité de disposition dans d’infimes variations. Une gamme bleutée jouait à être de la lumière, incluant elle aussi toutes sortes de possibilités chromatiques exploitées à coups de plus ou moins de blanc. L’ensemble laissait une impression durable de paix, d’harmonie et d’au-delà dans un calme éternel. Il était extrêmement difficile de déterminer lequel on préférait même si on avait envie d’opter pour le dernier, qui semblait plus abouti. Il s’amusait alors à en modifier l’agencement selon une composition soigneusement établie pendant qu’on s’éloignait un peu, boire un café, se dorer au soleil, faire une sieste. A notre retour dans l’atelier-aimant, il nous reposait la question et on voyait qu’il avait brouillé les cartes, battu le jeu, mais on ne pouvait retrouver le tableau préféré, ou alors pas à coup sûr. C’était une série qui se tenait tellement qu’il aurait bien voulu qu’un éventuel acheteur les prenne toutes d’un coup, et que lui Gilbert en règle l’accrochage. Il les posait au sol encore et encore, ordonnancement secret remodifié et se régalait de leur plénitude qu’il voyait dans nos yeux, percevait à nos silences émus. Rarement travail m’aura touchée à ce point. Il avait trouvé le non-lieu, celui où les humains n’accèdent qu’après leur mort. Et ça lui faisait peur.
Valérie Lafont
Midi Libre
Midi Libre 13 oct 1991